Éphéméride // Composition française à l’école primaire en 1878
© Domaine Public
Jean Mano, de l’école d’Arcachon, figure parmi les 155 élèves qui ont remis une copie pour le concours général des départements. Il étudie au primaire dans le cours supérieur qui prépare au certificat d’études. Le sujet de la composition française est Le pain mal acquit remplit la bouche de gravier.
Le devoir ayant reçu la meilleure note est proposé dans le Manuel général de l’instruction primaire. En voici le texte :
« C’était la veille de la Toussaint, jour où chaque cultivateur paye ce qu’il doit à ses domestiques. Deux journaliers, Thomas et Pierre, venaient de quitter la ferme, s’en allaient, l’air guilleret. Tout à coup, Pierre, en retirant son mouchoir, laisse tomber, sans s’en apercevoir, sa bourse qui contenait le fruit de ses sueurs et de son travail de plusieurs mois. Thomas la ramasse sans que son camarade se soit aperçu de son mouvement. Il la met dans sa poche, car une mauvaise pensée s’était emparée de lui : il nourrissait depuis longtemps un projet : il désirait être poulailler ; il espérait que les deux cent cinquante francs de Pierre, joints à ses économies et à la somme qu’il vient de recevoir, suffiraient pour embrasser la profession qu’il désirait exercer.
Pierre ne s’aperçut de sa perte qu’en rentrant chez lui. Le pauvre Pierre est inconsolable, car avec la somme qu’il venait de perdre, il pensait payer son loyer, solder le boulanger. Thomas, de retour à la maison, raconte à sa femme la mauvaise action ; celle-ci l’approuve et l’engage à mettre à exécution le projet qu’il rêvait depuis longtemps. Il attendit cependant la foire de Saint-André, pour acheter un cheval et une voiture. Dès le lendemain, il commençait à fréquenter les marchés, achetant force volailles, force lapins.
Un jour, ayant peut-être ayant bu plus que d’habitude, il frappait à grands coups de fouet son pauvre cheval. L’animal, poussé par la voiture, prit le mors aux dents et renversa la voiture, le conducteur et les paniers. Des voyageurs qui passaient par là le ramenèrent évanoui. Il reçut les premiers soins d’un homme de l’art. Il s’était brisé la jambe en plusieurs endroits, et l’amputation était nécessaire. Aujourd’hui, le malheureux Thomas est étendu, les souffrances qu’il endure sont encore avivées par sa conscience qui lui reproche sans cesse la mauvaise action, qui lui répète à satiété qu’il valait mieux pour lui se nourrir de pain dur et noir, gagné honnêtement, que de chercher à sortir de sa position par des moyens qui coûtent des remords. Cette petite histoire nous prouve que le proverbe qui en forme le titre n’est point menteur, elle nous montre qu’il vaut mieux rester dans la position modeste où le Ciel nous a fait naître que de chercher à nous élever au détriment d’autrui. »